Stamatis Gargalianos
Professeur Associe
Université de la Macedoine de l’Ouest
Introduction
Dans cet article on analyse le fait que depuis les premiers temps historiques, en dépit de ses innombrables problèmes politiques et économiques, la Grèce a survécu en tant que nation grâce à son art, domaine qu’elle a développé à un haut niveau. On examine ici si l’esprit de l’antiquité grecque, transmis dans tout le monde archaïque, a dominé la pensée des intellectuels de toutes les disciplines et de toutes les sciences. Certes, cet esprit a du passer par l’intermédiaire des arts pour se préserver jusqu’à nos jours et être diffusé et répandu dans tous les établissements académiques du monde entier.
Les œuvres de l’art grecques comme celles de la sculpture, de l’architecture, de la philosophie, du théâtre, telles qu’elles ont pu être préservées jusqu’à aujourd’hui, témoignent clairement de l’importance de l’art, dans la civilisation grecque, au cours des siècles.
La caractéristique première du développement de toute civilisation, non seulement pendant l’époque antique mais de tous temps, est la forte liaison entre deux aspects majeurs et omniprésents, socioéconomiques et artistiques. Ces ceux aspects dépendent fortement l’un de l’autre : si l’art est toujours dépendant de la prospérité d’un pays, ce dernier ne peut survivre que grâce à son art. Autrement dit, c’est seulement lorsqu’un pays atteint un niveau social et économique très élevé qu’il peut se consacrer à son épanouissement artistique. Et lorsqu’il s’épanouit artistiquement il peut être sur de sa force et de son éternelle existence en tant que nation.
Ce rapport entre art et économie est toujours fort, presque indispensable. Partout et toujours dans ce rapport deux facteurs majeurs s’affrontent, pour se compléter ensuite:
a – la ville, ou bien la cité (en grec: polis, politia, kratos), qui est la gérante de la richesse,
b – les hommes, ceux qui produisent les divers biens comme aussi les oeuvres d’art et ceux qui les consomment, dans le processus général de l’économie de la cité.
Ces deux facteurs ont marqué le développement de la Grèce en tant que nation et ont toujours souligné par leur interaction, le lien tenu entre art et économie.
Mots clefs:Art, Théâtre, Societé, Grèce, Histoire, Economie, Chorèges, Thespis, Antiquité
Un court aperçu historique
VIIe à Ve siècles avant J-C.
La première civilisation dans le temps historique, celle qui a eu pour foyer principal la Crète, est née en VII siècle avant J-C et a développé un art qui, tout en empruntant des éléments à l’orient les a combines en un style propre et original. Les rois se font construire des palais, comme ceux de Cnossos et de Phaistos. Ce sont de vastes ensembles, dont le plan assez compliqué rappelle celui des palais chaldéens (Gargalianos, 1994: 30). Les artistes travaillent à la décoration du palais. Les murs sont recouverts de peintures parfois incrustées de figurines en faïence polychrome. La sculpture est représentée par de grandes statues en plâtre peint ou en marbre, à la puissante musculature et par d’élégantes statuettes d’ivoire ou de faïence. Le caractère essentiel de cet art est qu’il tient son inspiration de la nature, en la reproduisant d’une façon fidèle et vivante. Sur les vases, comme dans les peintures, les végétaux, rameaux d’olivier, lys, crocus ; les animaux, poissons, poulpes, coquillages marins sont rendus avec exactitude et groupés selon un sens très fin de l’effet décoratif (Ekdotiki Athinon, 1971: 41).
La civilisation crétoise donne naissance à la civilisation mycénienne ; l’art mycénien s’inspire de l’art crétois et présente des caractères analogues. Les invasions du XIIe siècle rejettent en Asie les populations péloponnésiennes. Ainsi la civilisation et l’art mycéniens sont-ils comme un prolongement dans la Grèce asiatique, dans l’Ionie: la céramique ionienne, par exemple, continue les traditions artistiques de la céramique mycénienne et crétoise (Ekdotiki Athinon, o.p.: 41).
Le XII siècle avant J-C, qui voit disparaître la civilisation mycènienne, marque un recul pour l’art grec. Les acquisitions des siècles précédents sont perdues; on assiste alors à un recommencement du travail artistique, à une longue série de tatonnéments et d’effort, qui ne portent définitivement leurs fruits qu’au VII siècle (Bengston, 1991: 56). Diverses influences s’exercent alors sur le développement de l’art. Les conditions nouvelles du monde de cette époque expliquent cet essor. D’humbles bourgades rurales qui sont à l’origine les cites, deviennent des villes qui se jalousent et rivalisent entre elles par l’éclat de leurs monuments, autant que par les succès de leurs armes. La prospérité se développe partout surtout à partir du VIIe siècle, multipliant les commandes publiques ou privés (Paparigopoulos, 1991: 18).
Les aristocrates comme déjà les tyrans, mais aussi les parvenus de l’artisanat et du commerce aiment à s’entourer d’objets luxueux, provoquant une renaissance remarquable des arts nouveaux. Les mêmes principes sont valables pour le grand art, architecture et sculpture qui bénéficient de la puissance du sentiment religieux dans un monde ou la religion civique ne peut que profiter de l’expansion des cites.
C’est, avant tout, l’action des grandes sanctuaires qui s’enrichissent de monuments et qui exposent aux yeux de tous, les oeuvres de toutes les écoles (Glotz, date non comminiquee : 16) c’est aussi celle des tyrans, comme Polycrate à Samos, Pyssistrate à Athènes, qui veulent embellir leur cité et se font les protecteurs des artistes et des poètes (Jarde, 1971: 75).
La conquête lydienne et perse interrompt le développement de la Grèce asiatique ; mais déjà les artistes ioniens avaient exerce une influence féconde sur la Grèce continentale et même sur les pays doriens (Bengston, o.p.: 43)
Après les guerres médiques la Grèce reprend et poursuit, avec une énergie nouvelle, sa carrière artistique (Paparigopoulos, o.p.: 23). L’Ionie, en décadence, oblige les artistes ioniens à vivre à l’étranger, tel le sculpteur Pythagoras. Athènes ayant particulièrement souffert de l’invasion, sort grandie de la lutte, en devenant aussi bien capitale artistique que capitale littéraire de la Grèce. Ainsi, au IVe siècle se produit une évolution. Athènes, durement éprouvée par la guerre avec Sparte, perd l’hégémonie artistique. Les grands artistes ne sont plus exclusivement des Athèniens: alors que l’art du Ve siècle avait pour objet unique d’embellir la cité et de traduire les sentiments collectifs de patriotisme et d’enthousiasme civique, au IVe siècle, la déchéance des cites s’accompagne d’un art plus personnel, s’adressant à l’individu et exprimant les sentiments ainsi que les émotions de l’homme privé (Paparigopoulos, o.p.: 23, Ekdotiki Athinon, o.p.: 49).
La naissance du théâtre et son aspect économique
Ainsi, la naissance du théâtre à ce moment apparaît comme nécessaire. Les autres formes d’art ainsi que les doctrines développées ci-dessus brièvement, ont de même contribué à cet essor. L’exemple typique en est l’architecture, qui, partout en Grèce comme aussi à Athènes a eu pour tache principale la construction de théâtres. De plus, nous savons que le théâtre grec antique est né de la religion, qui, à ce moment exerçait une influence majeure sur la population et les hommes politiques. A Athènes, en particulier, les représentations dramatiques sont une des formes du culte public, un hommage rendu par la cité à Dionysos. La représentation est une cérémonie religieuse officielle : elle est présidée par le prêtre de Dionysos qui siège au premier rang ; toute la cité doit y prendre part : les frais sont couvertes non seulement par une liturgie (chorigia), imposée aux riches, mais par la création d’un fonds spécial par l’Etat le théorikon, permettant de payer aux pauvres l’indemnité pour assister à la fête (Floros, 1983 : 30).
Les représentations dramatiques donnent lieu à un concours entre les poètes. Au Ve siècle, l’archonte (le chef de la ville ou de la cité) choisit, parmi les concurrents, les trois poètes dont les ouvrages lui paraissent les plus dignes d’être joués et il leur «donne un choeur» (χόρον δίδοναι) c’est-à-dire l’autorisation de faire monter leur pièce aux frais d’un chorège (χορηγός).
Le chorège est chargé de recrute les acteurs (υποκριταί) et les choreutes (χορευταί), de surveiller les répétitions. Le prix était d’abord décerné par le peuple tout entier, plus tard par un jury tiré au sort ; il est attribué à la fois au poète et au chorège (Gargalianos, o.p.: 35).
A cette époque, la nécessite de subventionner les spectacles devient une évidence au sein de l’Etat même. A Athènes non seulement les chorèges, qui apparemment ne sont pas assez nombreux pour guarandir le montage des spectacles, mais surtout l’Etat parvient à assurer le fameux «άρτον και θεάματα» («du pain et des spectacles») proclamé par le peuple. De plus, son action est prolongé en pérennisant cet art ephémère : il fait graver d’année en année la liste des représentations avec les noms des poètes et des acteurs et il dépose dans les archives publiques une édition officielle des trois grands tragiques. Toute la Grèce suit ainsi l’exemple d’Athènes et les cités batissent des théâtres ; chaque prince, chaque tyran, à Pella comme à Phères, à Halicarnasse comme à Syracouse, s’emploie à attirer les auteurs à sa cour (Floros, o.p.: 31).
Thespis, Eschyle, Phrynichos, Pratinas, Sophocle, Euripide sont les représentants les plus connus de ces poètes du drame ancien. La comédie, comme la tragédie, est née du culte de Dionysos, du «Κώμος» (kômos), procession burlesque qui, aux Dionysies d’hiver se répand dans les villages et poursuit les passants de ses chants satiriques et de ses quolibets (Glotz, o.p.: 25).
Ses protagonistes, parmi les auteurs, sont Aristophane et Ménandros.
Les conquêtes d’Alexandre répandent la civilisation grecque dans tout l’Orient. Les villes nouvelles deviennent les capitales artistiques du monde héllénistique (Bengtson, o.p.: 45).
Les caractères apparus au IVe siècle s’accentuent encore, en manifestant deux tendances : d’une part, le goût du colossal, du pathétique, la recherche de l’effet, que l’on retrouve dans les écoles de Rhodes et de Pergame ; d’autre part l’amour du pittoresque, du réalisme, le sentiment de la nature, qui inspirent les artistes, comme les poètes d’Alexandrie (Paparigopoulos, o.p.: 24).
L’art hellénistique se prolonge dans l’art gréco-romain de l’époque impériale. Néanmoins, après la conquête romaine, le latin ne fait aucun progrès dans le monde hellénique. Le grec reste non seulement la langue usuelle mais la langue officielle dans laquelle on traduit pour les sujets orientaux de l’empire les lois ou sénatus-consultes rédigés en latin. Ainsi la littérature grecque compte-t-elle encore quelques noms notables durant l’époque romaine (Floros, o.p.: 38).
Au Ier siècle après J-C on peut citer les historiens Diodore de Sicile et Denys d’Halicarnasse, le géographe Strabon, les écrivains juifs Philon d’Alexandrie et Flavius Josèphe.
Mais déjà, au IIIe siècle, la décadence avait commencé. La littérature grecque ne retrouve quelque éclat qu’avec les écrivains chrétiens, les Pères de l’Eglise: saint Basile (330-379), saint Grégoire de Nazianze (330-390), saint Jean Chrysostome (347-407). Si l’on continue à écrire en grec, du moins la littérature grecque a vécu; la littérature byzantine n’en sera qu’un pâle reflet (Ekdotiki Athinon, o.p.: 52).
Moyen Age, Byzance, occupation ottomane
Du Ve au XIe siècle rien d’important ne s’est produit dans le domaine de la littérature et le théâtre, fille ainée de celle-ci, a subi les conséquences de l’inertie artistique générale, aggravées par les diverses guerres et les croisades (Bengston, o.p.: 47).
Cependant des ruines et du chaos résultant de la tempète de la quatrième croisade jaillit, plein de vigeur, le néohellénisme. Les Etats grecs issus de l’éclatement de l’empire romain, Nicée, Trébizonde, Ioannina et plus tard le Despotat de Morée, entouré de nombreux ennemis, sont excentrés (Bengston, o.p.: 47-59) c’est-à-dire qu’ils se trouvent en dehors de l’influence de Constantinople et de son ancienne tradition officielle romaine.
En fait, à partir de cette époque, de 1204 à 1566, le monde hellénique oppose, dans les régions occupées par les Francs, une résistance active ou passive, laquelle devient, avec le temps, plus efficace et plus acharnée. De cette résistance et de cette fierté du peuple grec résulta un renouveau des études grecques, des arts et de la littérature. Les sciences elles-mêmes sont cultivées avec soin, particuliérèment l’astronomie. Plus que jamais le monde byzantin se tourne vers l’antiquité. Les habitants de l’empire paraissent chercher à renouer ces liens qui s’étaient distendus à la suite de la conquête romaine et de la prépondérance du christianisme (Bengston, o.p.: 61).
De même, un groupe de philologues renommés travaillent aussi avec grand succès dans le secteur de l’ancienne littérature grecque et ils restaurent l’autorité. Leurs ouvrages sont estimés et admirés même par les spécialistes modernes. Ce premier essor, annonciateur du néo-héllénisme et des temps modernes, mouvement parallèle à l’effervescence préparant la Renaissance en Occident, ne devait pourtant pas être de longue durée. Une crise profonde ébranle au même moment les bases des nouveaux Etats grecs. Cette crise est sociale et économique (Bengston, o.p.: 61).
C’est alors qu’intervient un événement qui, de premier vue apparaît de peu d’importance mais qui bientôt donnera ses résultats: vers le milieu du XIVe siècle, Boccace invite à Florence le gréco-latin Leonzio Pilato. Il lui offre l’hospitalité et parvient à créer pour lui, à l’Université de Florence, en 1360, la première chaire de grec ancien en Occident (Alardaiss, 1978: 13). C’est un événement qui constitue sans aucun doute, une étape capitale dans l’histoire de la civilisation de l’Europe Occidentale. Mais pendant ce temps, la situation politique de l’Etat byzantin ne fait que s’aggraver, à un rythme sans cesse accéléré, surtout à partir de la fin du XIVe siècle.
En 1453, la conquête de Constantinople et de Byzance en entier par les turcs, porte un coup mortel -très décisif- à la civilisation grecque. Cette occupation durera quatre siècles au cours desquels le seule remède permis est l’espoir: espérer se libérer, dans le but de s’épanouir, ensuite, artistiquement.
En ce qui concerne la libération, l’espérance a progressivement vieilli et s’est finalement ébranlée dans la mesure où toutes les nations étrangères n’ont pas tenu leurs promesses d’aide totale. Ces épreuves ont fait profondement sentir la nécessité de ne compter essentiellement que sur ses propres forces. Le repli sur soi-même eut comme résultat la naissance de deux sociétés : l’une, secrète et révolutionnaire, celle de l’Hetairie (Εταιρεία – Φιλική – Odèsse – Οδησσός, septembre 1814) désirait surtout préparer les Hellènes à la guerre de libération. L’autre, publique et éducatrice, celle des «Amis des Muses» (Athènes, 1813) (Φίλοι των Μουσών) (Ladogianni-Tzoufi, 1982: 38), avait pour objectif principal l’élévation du niveau intellectuel des Hellènes et des autres peuples chrétiens du Levant afin de préparer d’abord la domination culturelle, puis politique des grecs dans leur région.
Néanmoins, ce qui est certain est le fait que la Grèce sous l’occupation turque de 1453 à 1821 n’a pas eu les occasions et les facilités que les autres pays européens ont eues, pour développer son art, notamment le théâtre. Seule exception en font certains artistes, surtout peintres, qui ce sont dispersés dans les pays balkaniques voisins, dans le but de soutenir le désir de création de ceux qui vivaient dans le pays occupé (Laskaris, 1938: 239)
Ici commence une nouvelle ére pour le nouveau théâtre grec : tout en préparant la révolution contre les turcs, le pays, de par cet effort gigantesque, puise un nouvel élan, tant culturel que social. D’autre part, un autre événement historique, cette fois artistique, contribue, indirectement, à cet effort : c’est la Renaissance, en pleine floraison en Europe à cette époque, qui influence fortement toute tentative artistique hors et dans la Grèce (Ladogianni-Tzoufi, o.p.: 42).
Cette révolution a été préparée par les grecs autochtones depuis la fin du XVIIIe siècle, mais les premiers qui eurent l’idée d’une résistance de longue durée pouvant aboutir à une révolution, furent ceux qui habitaient en Europe, surtout en Roumanie, Hongrie, Autriche et France. Ces grecs ont d’abord crée des troupes politiques révolutionnaires, dont la majorité des membres étaient composés de grecs expatriés, ayant une forte nostalgie pour le pays natal. Ces troupes, dont la mission principale fût la préparation stratégique de la révolution, furent à cette fin soutenus financièrement par les riches grecs de la diaspora dont l’activité essentielle était le commerce européen (Sideris, date non communiquée: 114). Cette activité professionnelle leur offrait non seulement une vie aisée mais aussi la possibilité de développer leurs préoccupations artistiques, qui, d’une certaine manière ont contribué à la révolution. Ils commandent, par exemple de pièces de théâtre nouvelles: la pièce «Achilleus», écrite en 1805 par A. Christopoulos qui vivait auprès du gouverneur gréco-roumain Mourouzis, a été commandée vivement dans la perspective de la voir jouée sur scène..
Un autre exemple en est la fille du gouverneur Karatza, Ralou Karatza, qui a crée la première troupe de théâtre grecque en 1817 et dont la majorité des acteurs était constituée d’étudiants, amateurs de théâtre (Varopoulos, To Vima: 22/03/92, B 9-35). Le support principal de ces tentatives ont été les maisons d’éditions, louées ou achetées par ces riches grecs de l’étranger et qui, pendant cette période historique publiaient, en dehors des brochures révolutionnaires, des pièces de théâtre. Ces pièces ont servi tant pour la scène que pour les écoles primaires grecques en Europe ou bien dans la Grèce même (Κρυφό Σχολειό = l’école clandestine, école illégale) (Laskaris, o.p.: 242).
Ces pièces de théâtre ont d’abord été des pièces étrangères, traduites en grec et par la suite des pièces typiquement grecques, mais qui, toutes, ont été énormément influencées par les courants esthétiques de l’époque en Europe, c’est-à-dire ceux de la Renaissance et principalement le naturalisme et le romantisme. Seules font exception les pièces à caractère historique, écrites à cette période mais traitant d’événements historiques de l’antiquité (ex : la puissance stratégique d’Athènes), en vue de rappeler aux grecs, à ce moment difficile de la révolution, «la gloire et la force éternelle de la Nation» (Sideris, o.p.: 118). Une autre exception à la règle de la Renaissance (romantisme – naturalisme) est produite par des adaptations des pièces anciennes, principalement d’Eschyle, dont «Les Perses» sont jouées à Zakynthos, en 1581 (Ladogianni-Tzoufi, o.p.: 49).
De la constatation générale, relative aux événements artistiques majeurs de l’époque, il ressort que l’Europe et ses mouvements culturels, du Moyen-âge jusqu’à la Renaissance et au-delà, a énormément influencé la Grèce* par le biais de deux moyens : a) l’implantation des artistes grecs en Europe centrale où ils travaillent pour «importer» ensuite leurs aptitudes artistiques «européennes» en Grèce, b) les publications d’œuvres européennes et leurs traductions, ayant bien souvent pénétré illégalement dans le pays mais formant soit le support éducatif des jeunes grecs, soit le matériel de base pour la production du nouvel art grec.
Les fondements du nouveau théâtre hellénique: Quelques données théoriques
L’analyse du développement du théâtre néohellénique, dont les fondements prennent racine pendant la période de la révolution contre les turcs (1821), ne peut se faire qu’à partir de trois données majeures :
a. – ses textes
b. – ses hommes
c. – ses établissements publics (y compris l’architecture) (Floros, o.p.: 42)
Tout en soulignant d’abord l’importance que chacune de ces trois données a eu pour les deux autres, le rapport entre l’économie et le théâtre ne pourra être décrit sans tenir compte de l’ensemble des trois éléments constitutifs du phénomène théâtral: ce sont d’abord les hommes, soit ceux qui produisent un spectacle, soit ceux qui y assistent, qui, par leurs efforts et leur présence même, constituent l’élément moteur et l’essence principale de l’acte théâtral, l’action.
Ensuite ces hommes ont besoin d’un texte qu’ils doivent entreprendre pour le monter ou/et le voir (ces textes ne sont d’ailleurs écrits que par quelques-uns de ceux qui travaillent ou assistent dans le théâtre). Il est à noter que ces écritures théâtrales n’aboutissent à une forme présentable que grâce à des influences que leurs auteurs reçoivent de la constitution et des phénomènes généraux de la société. Nous pouvons ainsi constater que l’une des matières génératrices du théâtre -l’homme- se trouve dans un circuit de production assez particulier, qui veut qu’il n’écrive/n’agisse/(n’assiste) dans le théâtre qu’à partir de ce qu’il observe dans la société qui l’entoure (Gargalianos, 1994: 45). En même temps, cette société -qui le «nourrit» par ses phénomènes- assiste à ses représentations pour y voir sa propre image et la modifier ou la retenir, pour influencer à nouveau ses hommes qui sont à la fois producteurs de phénomènes et créateurs de pièces sur ces phénomènes.
Ensuite, comme toute action/événement/création sociale qui réunit plusieurs hommes pour sa manifestation, le théâtre a également besoin d’un lieu concret qui devienne progressivement un lieu habituel de rencontres sociales et d’échanges de produits qui s’y exhibent et se démontrent. Ces produits ne sont pas nécessairement commercialisables mais surtout cérébraux, étant le résultat d’un processus mental, influencé avant tout par les phénomènes sociaux (Laskaris, o.p.: 245).
Ces lieux habituels de rencontres, parallèlement à la construction et au développement des villes, nécessitent leur propre processus (voire consolidation) et approbation publique. Ceci résulte d’un besoin et d’une nécessité de ses hommes qui, dès lors, s’efforcent de consolider et d’officialiser tout besoin collectif en pérennisant son existence par la création d’un lieu public respectif. Ces lieux deviennent progressivement des bâtiments, puis des établissements, qui accueillent ou créent ce type de manifestations collectives. On peut les distinguer soit en lieux proprement dits (les bâtiments, leur intérieur et leur extérieur, ainsi que sa position géographique dans la ville), soit en des organismes qui entreprennent le rôle de l’organisateur de ces manifestations théâtrales. Ces organismes deviennent des structures socialement organisées ayant de profonds liens avec: a) les hommes qui y travaillent b) les hommes qui viennent y assister pour des raisons que nous avons développées ci-dessus c) les hommes qui les soutiennent financièrement (bailleurs de fonds ou mécènes) d) les autres organismes crées par la ville (Ladogianni-Tzoufi, o.p.: 53).
Une donnée de base: le texte
Ainsi, celui qui veut parler du théâtre néo-héllénique doit commencer par l’analyse de ces trois données (texte-hommes-établissements) de l’époque après la révolution grecque. Il doit aussi laisser en marge les années 1821-1860 du fait qu’à cette époque la nation faisait un effort particulier pour trouver sa propre identité**.
En ce qui concerne les textes et leur contribution au développement du théâtre grec au XIXe siècle il faut remarquer que 1879 est la date qui marque le début et le nouveau point de départ. C’est précisément l’année où tout change dans la vie culturelle de la Grèce, soixante ans après la révolution contre les turcs. C’est le moment où des changements importants interviennent dans la littérature, la poésie, les arts plastiques. De nouveaux auteurs apparaissent et les artistes qui avaient effectué leurs études à l’étranger reviennent travailler en Grèce, peut-être parce que les conditions politiques et sociales se sont suffisamment développées -malgré un retard de soixante ans (Paparigopoulos, o.p.: 21). Ce retard démontre que l’occupation turque a été une des plus flagrantes parmi toutes celles de l’histoire grecque.
Il faut aussi remarquer que si le théâtre a connu, en 1879-1880 un nouvel élan, ceci est du à ses hommes mais également aux autres arts sans lesquels, comme ceci arrive toujours dans le développement théâtral de toutes époques, le théâtre ne pouvait pas s’épanouir (Paparigopoulos, o.p.: 21).
En 1879, les premiers textes appartiennent à deux catégories dramaturgiques distinctes : le vaudeville (accompagné par le vaudeville dramatique) et la revue. Il s’agit de pièces de théâtre largement influencées par la situation sociale de l’époque: d’un côté le vaudeville, pièce à musique paysanne ou romanesque, fondée sur une simple situation amoureuse, mais qui, toujours se déroule dans un village ou, en tout cas, dans un lieu non-bourgeois et non industrialisé. D’un autre côté, c’est la revue, genre «importé» d’Italie, tentative de critique -sous forme musicale et relativement gaie- de la situation politique et sociale de la Grèce (Sideris, o.p.: 128).
La remarque faite ci-dessus, selon laquelle un auteur de théâtre est toujours influencé par ce qui se passe dans la société où il vit, est très importante dans le cas de la Grèce. Ceci parce qu’à travers les écrits des auteurs grecs, nous sommes à même de connaître son Histoire. Pendant cette période (fin XIXe – début XXe siècle) les pièces décrivent un évènement historique de grande importance : le passage de l’économie fondée sur l’agriculture à l’économie industrielle.
L’ère industrielle
En effet, la Grèce de la fin du XIXe siècle n’est qu’un pays agraire. L’économie grecque, à ce moment, est sous-développée, artisanale et se fonde uniquement sur son agriculture. Ainsi n’est pas étrange le fait que dans les pièces de cette époque nous trouvons souvent des descriptions de vie misérable, parfois même insupportable, qui, par conséquent masquent un courant révolutionnaire sous-jacent (Ploritis, 1982: 17).
Ce courant devient encore plus évident lorsque l’économie grecque franchit le pas que nous avons mentionné : dans son effort de développement afin d’atteindre un niveau de vie européen, elle délaisse son agriculture pour s’acheminer vers l’industrialisation, grâce surtout aux innovations techniques, importées du nord de l’Europe. Cette industrialisation a eu deux caractéristiques majeures :
a.- elle a choisi les grandes villes afin qu’elle puisse trouver là une main d’œuvre abondante et de faible coût. Ceci a contribue a l’agrandissement progressif des villes, ou de nouvelles conditions de vie se sont créées, tant au niveau familial et interpersonnel que social et politique.
b.- elle a été la cause de la naissance de nouvelles idées socialistes et communistes, qui existaient sans doute avant l’industrialisation du pays mais qui, cloisonnes dans les villages grecs, n’avaient pas la force procurée par la population grandissante des villes (Grammatas, 1987: 116-117).
Ainsi, des le début du XXe siècle, deux courants esthétiques et idéologiques, issus des dominantes sociales précédemment citées, caractérisent la production théâtrale grecque: le drame bourgeois et le drame ouvrier. Les représentants du premier ont été G. Xénopoulos, D. Horn, Sp. Melas, N. Kazantzakis, qui s’intéressent aux relations interpersonnelles, aux nouvelles lois psychologiques, à l’impact de la cruauté de la société sur l’individu. Ils dénoncent également l’injustice sociale tout en soutenant la classe bourgeoise dont ils font part. Les représentants du deuxième ont été G. Kampyssis, D. Tagopoulos, R. Golfis, T. Pitsas, G. Imvriotis, qui, à leur tour, s’élèvent ouvertement contre les principes de la bourgeoisie en proclamant une société communiste et hautement révolutionnaire (Ladogianni-Tzoufi, o.p.: 131).
Il faut signaler aussi qu’à ce moment, parallèlement au progrès économique qui donne un nouvel élan au théâtre, se décèle également un développement très encourageant de la littérature. C’est précisément l’époque où les souvenirs des combats héroïques de 1821 et les éloges des philhellènes sont encore récents. Politis crée et fonde en Grèce l’étude du folklore et il attire l’attention des grecs sur les trésors des traditions, des poèmes et usages populaires ainsi que sur la langue populaire, la démotique; il influence également les jeunes écrivains, les poètes en particulier, qui cherchent de nouvelles voies et de nouveaux moyens d’expression (Laskaris, o.p.: 249).
Les écrivains qui restent encore influencés par le “Parnasse” français observent de plus en plus la vie quotidienne. Ils négligent les sujets larmoyants des romantiques et s’intéressent particulièrement à la forme du poème, en travaillant le vers. Comme moyen d’expression, ils se servent de la langue populaire qu’ils considèrent comme une langue vivante et qui, sans doute, est la base de toute action révolutionnaire (Laskaris, o.p.: 252).
Côté théâtre, trois autres événements historiques constituent trois étapes marquantes de l’évolution de la production théâtrale grecque:
1. – Le désastre et l’immigration violente des grecs de l’Asie Mineure (1921).
2. – La deuxième guerre mondiale (1940-45) suivie de la guerre civile grecque (1945-55)
3. – La dictature des colonnels (1967-74).
De 1921 à 1940 le théâtre grec connaît un recul dans tous les domaines (écriture de nouvelles pièces, exploitation théâtrale, nouvelles tendances dans la mise en scène et la scénographie). Seule la fondation du théâtre national d’Athènes (1931) apporte, en tant qu’événement, récompense et équilibre à ce désert théâtral. L’écriture théâtrale se contente de l’éthographie, de la farce, du théâtre poétique («importé» surtout d’Espagne) et du drame historique. Si certaines nouvelles pièces avancent vers une problématique et réflexion sur les problèmes sociaux, cette critique sociale qui les traverse est finalement assez superfici elle (Laskaris, o.p.: 256-258).
De 1940 à 1966, grâce aux intenses mouvements socioéconomiques (guerre mondiale, reconstruction du pays par le biais de l’aide américaine, guerre civile), le théâtre grec retrouve un nouvel élan, dû principalement aux efforts de reconstruction d’un nouveau pays par les citoyens. A cette époque, il existait une différence sociale énorme entre les pays développés et la Grèce. C’est précisément cette différence qui a poussé les grecs à créer, tant dans le champ de l’écriture que dans le domaine de la production et exploitation. Ainsi sont construits de nouveaux édifices théâtraux, sont fondées de nouvelles troupes et établissements théâtraux, de troupes étrangères sont venues jouer leurs productions en Grèce, sous certaines nouvelles modalités : le star system fait sa première apparition sur le territoire théâtral grec (Ploritis, o.p.: 23).
De 1967 à 1974, la période de la dictature des colonels engendre le silence de bon nombre d’auteurs dramatiques et peu de pièces nouvelles sont écrites. La plupart d’entre elles sont influencées par les tendances littéraires de tout ce qui se produit en Europe, puisque la Grèce a toujours été, comme nous l’avons déjà souligné, sous l’impact des courants européens. La fondation du ministère de la culture, en 1971, par la dictature elle-même, constitue un événement socio-politique de grande importance lors de cette période. Quoique les gouvernements de droite qui ont succédé à la dictature (1974-81 et 1990-1993) n’aient pas osé le supprimer, sa création et son fonctionnement, depuis le début, ont été un sujet de controverses, non seulement pendant les séances du parlement mais aussi dans les circuits artistiques. En effet, il s’agit bien d’un ministère qui, en dépit de la modestie de son exigence dans le budget national, est le premier qu’on néglige, lors des difficultés économiques du pays (Georgousopoulos, Ta Nea: 12).
Conclusion
En dépit du fait que l’art a été un domaine qui a connu un essor considérable en Grèce antique, personne ne peut affirmer que, par la suite, ce même domaine -et plus précisément le théâtre lui-même- a été favorisé dans ce pays. En règle générale, les problèmes sociaux, politiques et économiques du pays, depuis les premiers temps historiques jusqu’à la période contemporaine n’ont jamais permis le développement constant de l’art théâtral, en raison précisément de la force spécifique que ce type de problèmes connaît toujours dans ce pays méditerranéen.
De cette manière et par rapport au sujet central de cet article, il faut remarquer que le théâtre, depuis les toutes premières représentations de l’antiquité, n’a reçu aucune aide importante de la part des pouvoirs publics. Il a pu survivre grâce au courage et la passion des artistes qui l’aiment et qui ont donné leur vie pour cet art unique, né dans leur propre pays, la Grèce.
*Une seule exception à la règle, selon laquelle les pièces grecques sont largement influencées par les mouvements culturels de l’Europe, est la tradition et l’effort de l’Ecole Crétoise. Ses membres écrivent des pièces peu influencées par l’Europe, telles qui deviennent la base de toute production grecque postérieure et autochtone.
**Néanmoins, pendant cette période difficile a eu lieu la construction du premier théâtre à Athenes, en bois, dans lequel les athéniens ont pu voir leur premier spectacle, «Olympia» le 24 mai 1836 (information tirée de: r. ENA – 28/08/86)
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